Récit d’une fin de vie « Je veux dormir et ne plus me réveiller. »
François Guennoc était notre ami et plus encore – il s ‘était engagé auprès de moi dans la campagne des législatives 2022, comme directeur de campagne – tous deux opposants à la macronie,
Homme de coeur, humaniste dans tous ses actes – les dernières heures de François sont une marque honteuse sur la société actuelle contre laquelle nous luttons.
Merci Maya pour ce témoignage courageux, mesuré et si poignant

Le communiqué de Maya Guennoc
J’ai alerté les responsables il y a presque six semaines. Je n’ai encore reçu que des accusés de réception. Alors en tant que ton épouse et ta personne de confiance, j’estime qu’il est temps de partager les faits, comme tu l’aurais fait pour quelqu’un d’autre. Tu aurais 73 ans aujourd’hui même, c’est le bon jour.
« Je veux dormir et ne plus me réveiller. » C’est l’une des dernières phrases que François Guennoc, a pu formuler plusieurs fois avant de mourir. François n’avait pas peur de la mort. Il l’avait regardée en face. Il savait qu’elle approchait. Ce qu’il ne voulait pas, pour lui ni pour personne, c’était de souffrir inutilement, de mourir dans la douleur, sans écoute, sans compassion.
Pendant quatre ans, il a lutté contre un cancer du côlon métastasé au foie, décrété au départ « inopérable et inguérissable ». Il a pourtant été opéré, soigné, accompagné avec suffisamment de rigueur et humanité. Des médecins ont été présents, compétents, humains. Et puis… la médecine n’a plus vraiment rien eu à proposer. François a accepté cette limite avec une lucidité impressionnante. Il a choisi d’entrer en soins palliatifs avec confiance et sérénité, et nous avons rencontré le médecin en charge. C’était le 15 mars.
C’est à ce moment-là que tout a commencé à dégringoler. François s’est affaibli très vite, de plus en plus vite. Et la douleur est allée crescendo pour devenir insupportable.
À l’heure où la société débat d’une nouvelle loi sur l’aide à mourir et l’accompagnement de fin de vie, j’ai vu de mes yeux ce que peuvent être, dans certaines structures, les soins palliatifs. Et ce que j’ai vu m’a sur le coup brisée, et puis révoltée.
Une nuit entière, sans aide, sans réponse
Quand François a été hospitalisé d’urgence, dans l’après-midi du 7 avril, donc 24h avant sa mort, le médecin responsable n’a assuré aucune présence ni évaluation (il était dans le service de soins palliatifs mais prévoyait de s’occuper de François le lendemain !). Il n’a laissé aucune consigne médicale aux infirmières de nuit, si ce n’est 1g de paracétamol toutes les 6 heures (donc 2g en tout) et une perfusion hydratante. C’était « le protocole »…
Alors pendant plus de douze heures, j’ai regardé mon mari agoniser.
Je l’ai vu lutter pour respirer, incapable de parler sans effort. Il murmurait :
👉 “C’est trop dur. C’est trop long. J’ai mal partout.”
👉 “Je veux perdre la conscience de moi-même. Je veux dormir et ne plus me réveiller. J’ai trop mal.”
J’appelais sans cesse les infirmières. Elles me répétaient qu’elles ne pouvaient rien faire.
Qu’il fallait attendre la prise de sang à 6h, puis l’arrivée du médecin à 8h30.
Que ni le médecin de garde, ni le médecin en charge ne feraient quoi que ce soit en pleine nuit.
Une réponse froide, mécanique, inhumaine
Après une nuit de souffrances inhumaines, le médecin est enfin arrivé. Il n’a pas vu mon mari, n’a pas échangé avec lui, ni avec moi. Il s’est contenté de lire les résultats de l’analyse de sang (sans m’en faire part), a (enfin !) prescrit de la morphine et un calmant.
Mais trop tard. Trop lentement. Trop peu.
Je suis allée le supplier dans son bureau :
👉 “Je suis sa personne de confiance. Il demande juste de dormir, de ne plus souffrir.”
Visiblement irrité, il m’a répondu sèchement:
👉 “Madame, je connais mon métier ! Je lui ai déjà prescrit plus de morphine que je fais habituellement. Ça suffit.”
Quelques minutes plus tard, quand il a soudainement réalisé que notre médecin traitant avait prescrit des patchs de morphine deux jours plus tôt, il est entré en trombe dans la chambre, furieux, et les a arrachés violemment de la poitrine de mon mari, sans un mot.
François, si faible et toujours en grande souffrance, s’est alors retrouvé avec encore moins de morphine que les heures précédentes. Il était très conscient de ce qui se passait, de ne pas obtenir ce qu’il demandait. Il a même dit à ce moment-là : « Je vais me faire avoir… »
Le silence de la mort
Quand François a rendu son dernier souffle, dans l’après-midi du 8 avril, nous étions six autour de lui.
Nous ne l’avons pas aidé à vivre cette dernière heure.
Nous l’avons encouragé à mourir, à lâcher prise, pour qu’il n’ait plus mal.
Le vrai soulagement est arrivé avec sa mort. Je l’ai vécue comme une victoire contre l’inhumanité.
Prévenu, le médecin est entré quelques minutes plus tard. Il a juste posé une main sur le pied du lit, a regardé le corps de mon mari pendant deux secondes, puis a dit :
👉 “Bon, je vais faire le certificat de décès.”
Et il est reparti. Sans un mot pour moi, pour les enfants de François, pour sa sœur.
Pas un geste. Pas un regard.
Ce n’était pas une mort. C’était un abandon.
Je témoigne aujourd’hui pour que ce genre d’horreur n’ait plus lieu pour personne. François aurait parlé haut et fort pour les autres s’il en avait eu l’opportunité. Aujourd’hui, il parle avec sa propre expérience.
Mon mari n’a pas été accompagné. Il a été délaissé.
Il ne demandait pas l’euthanasie. Il demandait qu’on l’aide à dormir, à ne plus avoir mal, à partir dans la dignité.
Aujourd’hui, on parle de respect, de bienveillance, d’éthique médicale.
Mais dans les faits, certaines équipes appliquent des protocoles sans écouter, sans adapter, sans humanité.
Il est urgent de repenser profondément l’accompagnement de fin de vie.
De former les soignants à la compassion, à l’écoute, au respect des volontés du patient.
Et surtout, de ne plus tolérer que la douleur devienne une fatalité médicale.